On December 20, the calendar turns quietly in France. No official ceremonies. No prime-time debates. No front-page headlines. In Réunion, Martinique, Guadeloupe, and beyond, the anniversary marking the end of slavery in the French islands arrives each year accompanied less by recognition than by silence. That silence, persistent and deliberate, explains why independent journalism still matters. When memory is neglected by institutions, it must be carried elsewhere.
France has never fully undertaken its duty of remembrance regarding slavery, neither its role in Africa nor its consequences in the Caribbean and the Indian Ocean. This reluctance is not merely an omission; it is a choice. The difference between an enlightened nation and one stalled in historical denial often lies precisely here. Light favors those willing to confront their past. Nations grow when they acknowledge what shaped them, especially when that history is uncomfortable.
On December 20, 1848, the island of Réunion refused to continue down the path of enslavement. Popular pressure and collective resistance forced history’s hand. The date stands as the culmination of a long arc of revolt that began with the slave insurrection of Saint-Domingue in 1791, a movement that would ultimately shake colonial empires and redraw the political map of the Atlantic world. And yet, this foundational chapter is almost entirely absent from French school curricula. The national press rarely mentions it. One struggles to imagine a public holiday or an official day of commemoration honoring this turning point.
Elsewhere, history has been confronted, if imperfectly. In the United States, slavery remains a contested but unavoidable subject of public debate. In Brazil, museums, memorials, and academic programs openly grapple with the legacy of bondage. Across the Caribbean, remembrance is woven into national identity. France, by contrast, continues to treat December 20 as a peripheral footnote rather than a defining chapter.
The date also resonated far beyond Réunion, echoing across the Americas. Abolition was not a single event but a fractured, uneven process. Martinique, for instance, did not benefit from the first abolition of slavery and followed a different trajectory altogether. To understand these complexities requires returning to serious historical work. Paul Butel’s History of the French Antilles remains essential reading, as does History of Art in the French Antilles in the Context of Slavery and Post-Slavery (19th Century–1943). Equally powerful is Women of the Antilles: Traces and Voices, One Hundred and Fifty Years After the Abolition of Slavery by Gisèle Pineau and Marie Abraham, which restores visibility to voices long erased.
If the French state has largely failed to integrate this history into its national narrative, historians and university researchers have not. Quietly and persistently, they continue to excavate this painful past, ensuring that memory survives even when official recognition does not.
What cannot be denied is not only what happened, but what continues to happen today in the French islands. These territories have transitioned from formal slavery to economic dependency, constrained by structures and laws that contradict the very foundations of their peoples’ history. In practice, power often remains concentrated in the hands of the descendants of enslavers, families who accumulated wealth under colonial rule and continue to dominate economic and political life.
The result is a fragile social equilibrium. Poverty rates in the French overseas territories remain significantly higher than in mainland France. The cost-of-living soars. Unemployment persists. Periodically, the pressure erupts, through strikes, protests, and uprisings that surprise metropolitan observers but follow a deeply historical logic. These moments are often framed as crises, rather than as symptoms of unresolved injustice.
And yet, it would benefit everyone to allow these voices to be heard, even the voices shaped by the deepest and most legitimate anger. To listen without reflexive judgment. To attempt understanding rather than dismissal. That is the work a nation must undertake if it wishes to move forward. This work is necessary, even knowing that the pain will endure far beyond individual lifetimes.
Human societies have always carried memory forward, from oral traditions to written records. Culture is not built solely on triumphs; it is forged through acknowledgment. A country’s maturity is measured not by the perfection of its past, but by its willingness to assume it fully, even when it casts long shadows.
So to those who are the heirs of this painful history: from Texas, I am thinking of you on this singular day. A day that deserves recognition. A day I wish I could celebrate alongside you. Perhaps one day.
Thierry De Clemensat
French journalist Based in Austin, Texas, Writes on Jazz, Culture and Global Society
20 décembre : la date que la France refuse encore de regarder en face
Le 20 décembre, le calendrier tourne discrètement en France.
Pas de cérémonies officielles. Pas de débats en prime time. Pas de gros titres à la une.
À La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et ailleurs, l’anniversaire de la fin de l’esclavage dans les îles françaises revient chaque année dans un climat moins marqué par la reconnaissance que par le silence. Un silence persistant, presque méthodique, qui explique à lui seul pourquoi la presse indépendante demeure indispensable. Lorsque la mémoire est négligée par les institutions, elle doit trouver d’autres relais.
La France n’a jamais véritablement accompli son devoir de mémoire sur la question de l’esclavage, ni sur son rôle en Afrique, ni sur les conséquences durables de ce système dans la Caraïbe et l’océan Indien. Cette réticence n’est pas une simple omission : c’est un choix. La différence entre une nation éclairée et une nation enfermée dans le déni historique se joue souvent à cet endroit précis. La lumière sourit à ceux qui acceptent d’affronter leur passé. Les nations grandissent lorsqu’elles reconnaissent ce qui les a façonnées, surtout lorsque cette histoire dérange.
Le 20 décembre 1848, l’île de La Réunion refusa de poursuivre sur la voie de l’asservissement. La pression populaire et la résistance collective forcèrent la main de l’Histoire. Cette date vient couronner un long cycle de révoltes amorcé avec l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue en 1791, un soulèvement qui allait ébranler les empires coloniaux et redessiner la carte politique du monde atlantique. Et pourtant, cet épisode fondateur est presque totalement absent des programmes scolaires français. La presse nationale l’évoque à peine. Il est difficile d’imaginer une journée officielle de commémoration à la hauteur de cet événement.
Ailleurs, l’histoire a été affrontée, imparfaitement, certes, mais publiquement. Aux États-Unis, l’esclavage demeure un sujet conflictuel, mais incontournable du débat public. Au Brésil, musées, mémoriaux et programmes universitaires s’efforcent de penser l’héritage de la servitude. Dans nombre de pays caribéens, la mémoire de l’esclavage fait partie intégrante de l’identité nationale. La France, à l’inverse, continue de traiter le 20 décembre comme une note de bas de page, plutôt que comme un chapitre structurant de son histoire.
Cette date résonna pourtant bien au-delà de La Réunion, trouvant un écho dans l’ensemble des Amériques. L’abolition ne fut ni un événement unique ni un processus linéaire. En Martinique, par exemple, la première abolition de l’esclavage ne produisit pas les mêmes effets, et l’histoire suivit un autre chemin. Comprendre ces nuances impose de revenir aux travaux des historiens. Histoire des Antilles françaises de Paul Butel demeure une référence essentielle, tout comme Histoire de l’art des Antilles françaises en contexte esclavagiste et post-esclavagiste (XIXe siècle – 1943). Le livre Femmes des Antilles. Traces et voix, cent cinquante ans après l’abolition de l’esclavage, de Gisèle Pineau et Marie Abraham, est tout aussi précieux, en ce qu’il restitue une visibilité à des voix trop longtemps effacées.
Si l’État français s’est largement abstenu d’intégrer cette histoire dans le récit national, les chercheurs et universitaires, eux, ne l’ont pas désertée. Avec constance et rigueur, ils continuent de travailler sur cette période douloureuse, garantissant la survie de la mémoire là où la reconnaissance officielle fait défaut.
Ce que l’on ne peut nier, ce n’est pas seulement ce qui s’est produit, mais aussi ce qui se produit encore aujourd’hui dans les îles françaises. Ces territoires sont passés de l’esclavage réel à une forme de dépendance économique, encadrée par des structures et des lois qui trahissent les fondements mêmes de l’histoire de leurs peuples. Dans les faits, le pouvoir demeure souvent concentré entre les mains des descendants des anciens esclavagistes, des familles enrichies sous le régime colonial, qui occupent encore les sommets de la vie économique et politique locale.
Il en résulte un équilibre social fragile. Les taux de pauvreté dans les territoires ultramarins restent nettement supérieurs à ceux de la métropole. Le coût de la vie explose. Le chômage persiste. Régulièrement, la tension éclate, sous forme de grèves, de mouvements sociaux, de soulèvements que les observateurs métropolitains qualifient de crises, sans toujours en interroger les racines profondes. Ces événements ne sont pourtant que les symptômes d’une injustice jamais réellement réparée.
Et pourtant, il serait bénéfique pour tous de laisser ces paroles s’exprimer, y compris celles issues des colères les plus profondes et les plus légitimes. D’écouter sans juger immédiatement. De tenter de comprendre plutôt que de disqualifier. C’est là le travail qu’une nation doit accomplir si elle souhaite avancer. Un travail nécessaire, même si l’on sait que la douleur se transmettra bien au-delà des générations individuelles.
Depuis toujours, les sociétés humaines portent la mémoire, de l’oral à l’écrit. La culture ne se construit pas uniquement sur les victoires ; elle se forge aussi dans la reconnaissance des blessures. La maturité d’un pays ne se mesure pas à la pureté de son passé, mais à sa capacité à l’assumer pleinement, même lorsque celui-ci projette de longues ombres.
Alors, à celles et ceux qui sont les héritiers de cette histoire douloureuse : depuis le Texas, je pense à vous en ce jour si particulier. Un jour qui mérite d’être reconnu. Un jour que j’aurais aimé célébrer à vos côtés. Peut-être un jour.
Thierry De Clemensat
French journalist Based in Austin, Texas, Writes on Jazz, Culture and Global Society
